jeudi 16 mai 2024
Interview/ Procès à la CPI : Me Seri Zokou se prononce sur la libération de Charles Blé Goudé

Interview/ Procès à la CPI : Me Seri Zokou se prononce sur la libération de Charles Blé Goudé

Me Seri Zokou, avocat de Charles Blé Goudé, détenu à la Cour pénale internationale, dans une interview accordée à la radio française (RFI), dans sa rubrique, ‘’Toute la Vérité’’ de ce lundi 28 janvier 2019, s’est prononcé sur la libération de son client. Il dévoile les ambitions du « général de la rue », non sans évoquer sa relation avec Soro Guillaume.

Me Seri Zokou, le 13 décembre dernier, la CPI a mis en délibéré la demande de liberté provisoire du général de la rue comme surnommé , Charles Blé Goudé, le fait d’être dans un dossier conjoint avec Laurent Gbagbo est une aubaine pour Charles Blé Goudé qui a dit qu’il était prêt à répondre devant la justice.

Le fait d’être présent effectivement devant la justice est quelque chose que Charles Blé Goudé a toujours assumé à partir du moment où la situation qu’on connait en Côte d’Ivoire s’est produite. Avant d’être une affaire judiciaire, la situation de Charles Blé Goudé était d’abord une affaire politique, c’était une affaire de vérité à trouver entre tout ce qu’on avait entendu sur son action publique.

Vous vous estimez que c’est un procès politique avant tout ?

Non, ce n’est pas le procès en lui-même qui est politique. C’est le processus politique qui a conduit au procès, c’est-à-dire une crise entre deux camps politiques en Côte d’Ivoire, deux adversaires et qui, au lieu de se limiter à un combat démocratique, s’est terminée par une guerre. (...) On se souvient que, le président Laurent Gbagbo, de son temps avait demandé qu’on recompte les voix. Et Charles Blé Goudé avait eu cette formule : « il vaut mieux compter les voix que de compter les morts ». Du fait de la capacité à mobiliser (Blé Goudé, ndlr), le procureur de la CPI, Mc Donald avait posé des conditions de sa liberté provisoire. Notamment le pays d’accueil, on pense à des pays européens, notamment le Port du bracelet électronique.

Est-ce que ce sont des conditions qui vous arrangent, vous la défense?

Charles Blé Goudé, n’est pas lié à un engagement armé. Et d’ailleurs, on a eu en face de lui, des adversaires généraux qui étaient armés ; on disait qu’il était général de la rue mais en réalité, le terme vient des titres que les anciens Secrétaires généraux de la FESCI avaient. Et donc, au lieu de dire Secrétaire général, on disait général ; bref, en tout cas nous, nous n’établissons pas la responsabilité par rapport à ce que d’autres ont fait mais par rapport à ce qu’il a fait. C’est très important d’où son sens de responsabilité en comparaissant devant la cour et en respectant, avec ses avocats cette cour et en lui faisant confiance. Et au fil des débats, M. Charles Blé Goudé, demande à ce que son innocence soit établie définitivement et qu’il soit acquitté. En ce qui concerne la libération provisoire, il ne l’a pas demandée. C’est la Chambre qui s’est saisie elle-même estimant que cela faisait au moins un an qu’on n’avait pas réexaminé la situation des détenus et c’est assez d’ailleurs marquant de ce que la Chambre prend, de plus en plus ses responsabilité et veut aller, semble-t-il vers une manifestation plus rapide de cette vérité. Quand on lui pose des conditions, nous avons établi que Charles Blé Goudé n’avait aucune intension de fuir et où irait-il d’ailleurs…

Alors de quel pays d’accueil est-il question ?

Parce que le procureur Mc Donald exige que ce soit des pays européens pour limiter des risques de fuite de Charles Blé Goudé, selon lui. Nous nous pensons que l’élément fonctionnel est l’élément le plus important. C’est-à-dire que quand le procès peut amener à ce que Charles Blé Goudé soit présent dans le giron ou dans le périmètre de la Cour régulièrement, qu’il soit donc dans un pays voisin, cela n’est pas un problème du tout. Et quelque soit l’endroit où il sera, cela ne sera pas un problème pour Charles Blé Goudé de se soumettre aux exigences de la Cour.

Y a-t-il un effet Bemba dans ce dossier ?

On disait que, lorsqu’on partait à la CPI, on n’en ressortait pas. Et avant l’effet Bemba, il y a eu un effet Kenyan avec l’abandon des poursuites par les bureaux du procureur. Avant même l’effet Bemba, il y a eu l’effet d’une décision qui était assez rare. C’est-à-dire que la Chambre décide d’accorder aux détenus le droit de demander l’arrêt du procès avant terme. Ce qu’on avait appelé le, ‘’no quest to anwser’’ c’est-à-dire qu’il n’y avait plus raison de continuer une affaire laquelle, manifestement le procureur ne serait plus en mesure d’établir la culpabilité. Donc c’est déjà un tournant et ce tournant a été saisi par la défense. Et la décision concernant l’ancien Vice-président Jean-Pierre Bemba montre qu’en travaillant à la manifestation de la vérité comme nous l’avons eu à le faire pendant les trois années de procès, les juges peuvent entendre effectivement la voix du droit.

Dans un livre qu’il a écrit en 2016 auquel vous avez d’ailleurs collaboré, le titre était : ‘’De l’enfer, je reviendrai’’. Charles Blé Goudé dit que le transfèrement à la CPI a été pour lui, une délivrance. Comment vous expliquez cela ?

Oui effectivement, il n’a pas souhaité en tout cas être transféré. Il aurait aimé être libre mais vous savez que, avant, consécutivement à la guerre qu’il y a eu, il a séjourné en Côte d’Ivoire. Et avant de séjourner en Côte d’Ivoire, il a dû s’échapper de la Côte d’Ivoire pour ne pas connaître un sort qui aurait été funeste. Et sa détention en Côte d’Ivoire a fait l’objet de beaucoup de supputations mais c’était une détention extrêmement dure puisqu’elle était dans une prison qui n’était pas régulière. Avec tout ce que le pouvoir de ceux qui le gardent pouvait avoir comme manifestation non conforme à la loi et à ce que peut être un traitement humain et non dégradant. Alors, pour lui, la CPI n’est pas une fin mais un début. Il ose d’ailleurs le parallèle avec Nelson Mandela…

Pense-t-il encore avoir un avenir politique en Côte d’Ivoire, Charles Blé Goudé ?

L’engagement de Charles Blé Goudé remonte à ses jeunes années lycéennes comme nous le racontons bien dans le livre et à ses jeunes années universitaires et au cours de sa vie, il a déjà fait huit (8) fois la prison. Et chaque fois, ce n’était pas des prisons de droits communs, mais des détentions d’ordre politique. C’est donc dire que l’engagement de ses concitoyens est au cœur de sa vie et de son parcours. Par conséquent, aujourd’hui, Charles Blé Goudé est à la CPI, il en a profité pour apprendre, pour réfléchir et également pour tirer les leçons de tout ce qui s’est passé et conclure qu’on doit pouvoir faire la politique normalement en Côte d’Ivoire, sans recours à la violence et aux armes. Le message de Charles Blé Goudé en réalité, c’est de dire, et pour paraphraser Jean-Paul II, n’ayez pas peur. Je viens avec les mains ouvertes, sans rancunes pour qu’on puisse reconstruire ce pays sur des bases de justice et d’équité et sortir de la belligérance.

Son allié du temps de ses années d’études était Guillaume Soro, l’actuel président de l’Assemblée nationale. Quels rapports ont-ils aujourd’hui ?

A ma connaissance, pas de rapports particuliers mais des rapports historiquement fraternels. Mais politiquement, ils ne sont plus dans le même camp ? Ils étaient dans le même camp d’un point de vue syndical. Mais au niveau syndical, chacun vient avec son idéologie même si l’objectif était commun. Et effectivement, ils ont été opposé sur le fait que, son ami et frère Guillaume Soro s’est retrouvé du côté de la rébellion et donc de la prise des armes. Je crois que c’était l’élément fondamental qui les séparait car il estimait qu’il n’était pas nécessaire de recourir aux armes. Mais aujourd’hui les deux parlent de réconciliation C’est un juste retour des choses et c’est la preuve que Charles Blé Goudé avait déjà pris de l’avance puisque, c’est lui qui embouchait la trompette de la réconciliation en son temps pour permettre aux anciens rebelles d’être réintégrés dans la République. Il a joué un rôle de facilitateur pour les accords de Ouagadougou qui ont permis à M. Soro d’être premier ministre, nommé par M. Gbagbo. Il l’a aidé, par son intrusion à ce que, les ex-rebelles puissent revenir dans la partie Sud (du pays, ndlr), en nouant vraiment avec eux, des relations d’amitié, en les faisant visiter sa région et d’autres régions de la Côte d’Ivoire. Et en allant les visiter avec ce qu’on appelait la caravane de la paix. Charles Blé Goudé s’est réjoui énormément que M. Soro le rejoigne sur ce terrain, il espère que M. Soro ne sera pas le seul. Le message qu’il m’a confié récemment, c’est qu’il avait une grande peur par rapport à la perspective de 2020 avec aujourd’hui, les dissensions entre les anciens alliés du RHDP. Donc M. Soro et Bédié d’un côté et M. Ouattara de l’autre. Il nourri réellement des craintes que cette situation ne conduise à de nouvelles violences et donc espère que tout le monde va se mettre en ligne pour la réconciliation et la paix à travers un débat national qu’il souhaite inclusif pour toutes les parties.

L’Union africaine soutient le retrait des Etats membres de la CPI, accusés de s’acharner sur les pays africains. Si ce retrait collectif intervenait, pensez-vous qu’il signerait la ‘’mort’’ de la CPI ?

Il est certain que ce qui est en jeu aujourd’hui, avec le parcours de la CPI, ces dernières années, c’est d’abord l’idée noble qui présidait sa création qui est la notion d’une justice qui pourrait être rendue de façon égale quelque soit l’endroit où les crimes sont commis. Mais les écoulements de certaines procédures antérieures à la nôtre ont amené des Etats à réagir en se sentant quelque peu floués. Pour notre part entant qu’avocats, malgré les préventions que nous pouvions avoir, nous avons estimé qu’il fallait mieux comparaître devant la Cour pour que la vérité puisse s’exprimer et qu’à partir de ce moment-là, la responsabilité pèserait sur les juges de dire la vérité et la justice. Au stade actuel, nous estimons que le procès Gbagbo, Blé Goudé est le procès le plus déterminent aujourd’hui pour l’avenir de la justice internationale et de la CPI, en ce sens que, la décision que nous espérons, que nous attendons, qui pour nous, doit être une décision d’acquittement au regard de ce que nous avons estimé, l’absence de preuves de la part du procureur, sera de nature à rassurer sur l’équité de cette cour. Nous faisons pour cela confiance au juge pour qu’il continue de dire le droit en notre faveur, nous l’espérons. Quant à la décision de l’Union africaine, évidemment, j’ai déjà dit qu’elles doivent aller de paire avec la promotion également d’une justice solide dans les pays africains et au niveau interafricain en renfonçant les pouvoirs des juridictions sous-régionales comme la cour CEDEAO ou la cour africaine des droits de l’homme. C’est à ce prix qu’un retrait pourrait avoir tout son sens.

Propos recueillis par Abou zeid

NB : le titre et le chapeau sont de la rédaction

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